Ombre chinoise
Dans son troisième roman, Hélène Ling brosse le portrait de sa mère immigrée, atteinte d’Alzheimer. Si l’expérience première est celle du déracinement, cela n’empêche pas
l’auteur d’évoquer sa famille taïwanaise, et de sa diaspora : le restaurant chinois
parisien, la maison du patriarche à Taipei, celle des cousines de New-York, sont
autant de lieux du souvenir, où se mesure l’héritage rejeté ou perdu. En parallèle,
son autoportrait se déploie à travers deux autres récits. Où un scénariste, double
aliéné de l’auteur, tente de se mesurer à la mafia chinoise. Où, surtout, une Indienne
cherokee émerge du triptyque. Déportée vers l’Oklahoma en 1839, elle rejoindra
finalement le Wild West Show de Bu‘alo Bill. Image de la femme marginale sur
un autre continent, elle aussi, comme la mère taïwanaise, poursuit son parcours
chaotique vers un Ouest intime et sauvage. Peu à peu, les genres du western et du
roman noir se convertissent au contact de l’autobiographie, et accouchent d’une
expérience singulière qui ne peut se dire, par analogies et par échos, que sur la ligne
de jonction invisible des trois volets. À travers le portrait en parallèle de ces deux
femmes, à la fois fortes et vulnérables, Hélène Ling nous pose plus généralement,
dans un style habité et puissant, la question de nos origines.