
Les Frères ennemis, Roger Caillois et Claude Levi-Strauss
Qu'est-ce qui a pu nous séduire chez Roger Caillois et Claude Lévi-Strauss dans la décennie 1950-1960 ? Combien d'intellectuels, en effet, éprouvèrent la sensation de respirer plus librement après avoir lu Race et histoire, Tristes Tropiques et Ponce Pilate ? L'existentialisme régnait alors sans partage sur l'opinion cultivée. Les philosophes étaient devenus des donneurs de leçons et des pétitionnaires, leur langage et leurs problèmes semblaient s'imposer à tous. Au contraire, Caillois et Lévi-Strauss, chacun à sa manière, paraissaient totalement dégagés de la philosophie. En eux se devinaient une curiosité encyclopédique et une sensibilité esthétique que leurs contemporains croyaient moral de refouler. Claude Lévi-Strauss a été grand pour avoir contrarié sa vocation littéraire. De manière symétrique et inverse, c'est pour avoir cédé par moments à la sienne, en brisant les chaînes dont il s'était lui-même chargé, que Roger Caillois a fait une oeuvre durable.